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PANTAIA périple méditerranée
3 juin 2019

ÉLÉONORA D’ARBORÉA

    Nous venons de passer dans les eaux bordant le Giudicat d’Arboréa, capitale Oristano. C’est l’un des quatre Giudicati de Sardaigne.

     Avant de s’attacher plus avant à la vie d’Éléonora il faut remonter dans le temps pour  comprendre l’histoire mal connue et singulière de cette ile convoitée à la fois pour ses richesses minières (plomb et argent en particulier) et agricoles. Tout d’abord par les Phéniciens (900avJC) , les Carthaginois puis les Romains, ces derniers soumettant l’ensemble de l’ile et mettant fin à la civilisation Nuraghique qui avait perduré jusque là. La Sardaigne est alors pourvues de voies de circulation qui permettent de transporter les minerais et de grands travaux autorisent de vastes cultures qui en font avec la Sicile et l’Afrique du nord un des greniers de Rome.

    À la chute de l’Empire au Vème siècle les Vandales occupent les villes côtières. C’est sous les ordres de Bélissaire amiral de l’empereur d’orient que les Vandales sont vaincus en 534. La Sardaigne devient alors Byzantine, pour trois siècles. Elle est divisée en quatre département gouvernés par un « Judex » pour ce qui est des la lois et par un « Dux » pour le maintien de l’ordre.  Ces quatre GIUDICATI sont CAGLIARI au sud-est, GALLURA au nord-est , LOGUDORO (ou Torres ) au nord-ouest, et ARBORÉA au sud-est.

138giudicati

 

    Au VIIIème siècle la poussée des Arabes conduit à l’occupation de l’Afrique du nord puis de la Sicile et de l’Espagne . Ils font des incursions en Sardaigne comme sur bien d’autres côtes en Italie et en Provence. Byzance affaiblie ne peut défendre ses territoires et les villes côtières sont en partie délaissées au profit de l’intérieur. C’est pourquoi nous avons pu visiter ces cathédrales du Logudoro il y a quelques jours, situées dans les terres loin des villes et aujourd’hui en pleine campagne. Les Giudicat livrés à eux même s’érigent en véritables états et les juges se proclament souverains. A partir du IXeme s. les quatre Giudicati indépendants sont des états démocratiques où le parlement populaire « la Corona de logu » prend les décisions . Le souverain n’est pas propriétaire de l’état mais le dépositaire de l’autorité confiée par la Corona de logu. Les Juges sont élus selon un mode semi héréditaire. Ils ne se reconnaissent pas de suzerain. 

      Cependant les incursions des pirates barbaresques forcent les juges à recourir à la protection des républiques maritimes que sont Gènes (Torres) et Pise (Gallura et Cagliari) qui prennent une influence grandissante et finissent par contrôler les Giudicat de Torres(Gènes) et de Cagliari et Gallura (Pise). 

      Le Pape, s’immisçant dans la guerre entre Angevins et Aragonnais (en compétition pour la Sicile et le royaume de Naples), promet la Sardaigne Pisane aux rois d’Aragon en échange de la Sicile. Ils auront les deux! En 1282 la Sicile (vêpres Siciliennes)est définitivement entre leurs mains, et avec l’aide des « rois » d’Arborée ils prennent entre 1324 et 1326 la Gallura, Cagliari ainsi que Alghero et Sassari (Giudicat de Torres). Mais les retournement d’alliance sont nombreux et compliqués et dureront jusqu’à l’occupation complète de la Sardaigne en 1409 après la défaite des derniers Juges d’Arborée. 

 

   ELÉONORA D’ARBORÉE : De nombreux manques et approximations émaillent les connaissances que nous avons d’elle, dues une pauvreté en documents ou/et des réécritures assez tardives . Une partie de l’historiographie ayant été élaborée au XIXeme avec le romantisme de ce siècle et des vues politiques pour en faire une mythique "héroïne du peuple sarde".

 

    Eleonora nait probablement en 1340 à Barcelone. Les juges d’Arborée sont alors alliés aux catalans (Aragon) . Son père Mariano Bas-Serra, frère du Judex Pierre III d’Arborée mort sans descendance en 1347, est élu Judex à son tour, Mariano IV; il gouverne jusqu’à sa mort en 1376 avec semble-t-il beaucoup de sagesse mais il résiste fortement à la pression Aragonaise et entre en guerre ouverte avec eux en 1353 . Eleonora élevée à la cour d’Oristano, se marie en 1376 avec Brancaleone Doria (Génois) non sans arrières pensées politiques, comme tout mariage à l’époque. Elle ira vivre à Castelgenovese (actuel Castelsardo) dans la forteresse des Doria. Les relations avec la cour d’Aragon sont difficiles malgré une paix éphémère signée en 1378. Ugone III succède à son père comme Judex mais violent, autoritaire et impopulaire il est assassiné à Oristano en 1383 et Eleonora intervient aussitôt pour imposer son fils ainé, Frederico âgé de 6 ans, comme Juge, elle même devenant régente. Elle obtint par la persuasion voire la force avec l’aide de son époux,  le « Serment » des différentes instances de l’Arborée mais aussi de nombreuses « communes » hors d’Arborée alliées contre les aragonais qui conservent les `villes de Cagliari et Alghero. Elle renforce son indépendance vis à vis de la couronne d’Aragon qui souhaiterait une relation de vassal à souverain, alors que le gouvernement d’Oristano comme Eleonora sont restés fidèles à leur traditionnelle autonomie d'origine séculaire et à l'exercice de la pleine souveraineté sur leurs territoires.

En 1384 Brancaleone est arrêté et incarcéré à Cagliari. Pierre IV d’Aragon souhaite s’en servir d’otage pour pousser Eleonora à signer une paix rapide. Les pourparlers sont ouverts . En Arborée, deux tendances opposées ont émergé: un parti pour la paix, qui s'est reconnu dans E. et dans sa volonté de négociation, dans la défense des frontières, du pouvoir judiciaire et des formes anciennes de gouvernement, d’autre part un parti des libertés municipales, visant à renverser les institutions traditionnelles et à se connecter directement avec la République de Gênes.

      La paix est finalement signée à Cagliari le 24 janvier 1388. Le traité avait déjà été approuvé, selon les systèmes du Giudicato, par les maires des villes, les curatoria et les incontunes, et les religieux(« congregati ») et enfin à Oristano par l'assemblée de Corona de Logu.  L'année précédente, le fils de E., le jeune Federico, est décédé et son frère Mariano, âgé de neuf ans, lui succède.  E.  conserve la régence. Brancaleone n’est libéré qu’en début 1390. À l’automne déjà les tensions apparaissent entre les aragonais et les sardes qui se rangent sous la bannière d’Arborée. En 1391 c’est la reprise d’une guerre qui permet à Brancaleone en personne de reprendre une grande partie des territoires retocédés lors du traité de 1388 par une guerre éclair minutieusement préparée. Il semble bien qu’en 1392 Mariano âgé de 14 ans ait été émancipé et sa mère s’efface du devant de la scène. Les alliances et l’équilibre qu’elle avait tenté d’établir s’effondrent aussi. Il faudra 15 ans à l’Aragon pour reprendre peu à peu tous les territoires jusqu’à la défaite finale de 1409 qui met ainsi un terme au dernier Giudicat de Sardaigne qui devient alors Espagnole en jusqu’en 1713 entamant une période de lente décadence.  

     La tradition, a fixé l'année de la mort de Eléonora en 1404, mais aucun document ne l’atteste. Il semble d’après des sources fiables qu'à l'automne 1402, Eléonora était probablement déjà morte au cours de l'épidémie de peste qui a frappé l'île, et dont la tradition dit qu’elle en est morte.

 

Carta de Logu d’Arborea :

     Il y a très peu de documents contemporains sur la politique menée par Eléonora de 1383 à 1390 dans les territoires sous son contrôle dépassant les limites strictes de l’Arborée. L’évaluation historique détaillée du rôle de la « Judicesa » est donc difficile.  Eleonora devait avoir une forte personnalité car, sans être destinée à devenir Judicesa, elle a été capable de restaurer son pouvoir sur le Giudicato et au-delà, elle a réussi à imposer les prérogatives de sa famille dans une période difficile. Dans sa pratique du gouvernement, elle a suivi l’exemple de son père, Mariano IV, abandonnant la politique autoritaire de son frère Ugone III . Elle s’est appuyée sur les fonctionnaires de la chancellerie de l'Arborée,  les religieux, et les dignitaires de la cour d'Oristano, qui ont apporté le support technique et leurs connaissances pour l'exercice concret du pouvoir .

      La défense de la souveraineté et des frontières territoriales du Giudicato, est évidente tant lors de la prise du pouvoir en 1383 que lors des longues négociations de paix de 1386-1888; il y a un consensus selon lequel ses politiques ont réussi à rassembler la majorité des villes et villages judiciaires et même ceux des territoires voisins. Enfin, le travail de réorganisation  des systèmes juridiques et des institutions locales (déjà entrepris par Mariano IV),aboutissant à la promulgation de la Carta de Logu d’Arborea. Ces lois en langue sarde seront en vigueur jusqu’au XVIIIème s

      Le texte original ne nous est pas parvenu, il est difficile de savoir exactement la teneur originale et les apports spécifiques à Eléonora car Il y a en effet dans les textes une partie de la Carta de logu et du code rural de Mariano IV .

    Le terme Carta de Logu fait référence à la formulation du pouvoir législatif des Juges sardes. Le terme de carte est synonyme de statut; l'élément logu indique l'ensemble du territoire du giudicato.

    Eleonora établit des principes fondamentaux stipulant que les familles sont régies par des règles et règlements en vertu desquels elles peuvent vivre dans «  pacificu et tranquillu et bonu istadu ». Chose unique pour l’époque le droit des femmes est reconnu : les crimes de viol et d'adultère sont envisagés : la peine pour l'agresseur est généralement pécuniaire. En cas de violence charnelle contre une jeune fille, le mariage réparateur n'est autorisé qu'avec le consentement de la femme. 

     Le mariage "modu sardiscu "se distingue, par sa nature juridique, du mariage habituel en ces temps là, et même beaucoup plus tard, où le mari récolte tous les biens apportés par sa femme (dot). Il se caractérise par la communauté de biens entre époux ou par la communauté d’achats et de fruits (communauté réduite aux acquêts) chose rare (unique?) pour l’époque où la femme était « mineure » le plus souvent. Pensons au statut des femmes chez nous en ….1950 !

 

    Il est vraiment dommage que si peu de documents soient disponible pour approcher de plus près la personnalité si moderne de cette femme du moyen âge qui peuple maintenant de son nom les avenues des villes de Sardes et dont le portrait sert à de multiples illustrations plus ou moins de bon goût, alors qu’il n’existe pas de représentation authentique de son apparence. J’ai essayé dans cet article de donner les éléments les plus historiques et éviter les clichés que l’on trouve un peu partout et sont répétés sans véritable soucis d’authenticité. Ce que l’on peut retenir d’admirable c’est que la force de caractère d’une femme a imposé son empreinte en l’espace d’une petite vingtaine d’année et laisse aujourd’hui une fascination que son mystère aiguise encore…  FORZA DONNE. 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
N
Je me permets de vous signaler mon roman, publié en 2018 aux Editions Cap Béar : Eleonora - Le moment est venu ! de Nicole YRLE -> http://www.yrle.com/nic/index-eleo.php Le destin exceptionnel de cette femme hors du commun m'a inspirée !
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B
et beh dis donc quelle aventure !!<br /> <br /> effectivement les femens n'ont pas attendu le xx1 ème siècle pour faire parler d'elles, les exemples sont nombreux <br /> <br /> Merci pour le récit<br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br /> Bruno
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